mercredi 28 mars 2012

Reportage : Au Vietnam, dans l’antre de la dioxine

Cinquante ans après les premiers largages de défoliants et d’herbicides par les Etats-Unis sur le Vietnam, les sols et les eaux sont toujours contaminés. Reportage à Dong Son, commune qui a servi de base à l’armée américaine pour stocker la dioxine destinée à être pulvérisée dans les provinces du centre.



  
Après avoir roulé sur plus de 200 km de cols au Nord de Danang (capitale du Centre Vietnam), nous arrivons à Dong Son au crépuscule. Un paysage de montagnes et de futaies se déploie majestueusement. Au bout d’une route sinueuse et goudronnée, se dresse le centre administratif de la commune. Au loin, des nappes de fumées s’échappent des cuisines, tels des nuages glissant nonchalamment vers l’horizon. Les bras vigoureux des jeunes montagnardes recueillent rapidement des écopes d’eau limpide dans les ruisseaux. Les sons familiers des oiseaux des bois annoncent la fin imminente d’une journée. L’existence même de la vie en cet endroit semble défier le temps. Et pourtant, c’est bien ici que l’armée américaine a modifié, depuis 50 ans, tout l’écosystème de la forêt. Les habitants souffrent toujours des lourdes conséquences de cette guerre qui n’a pas livré tous ses secrets. Selon les sources vietnamiennes, 432’812 litres de produits chimiques toxiques contenant 11 kg de dioxine ont été déversés dans cette localité. On a découvert de la dioxine dans le sang de nombreux jeunes de moins de 25 ans.


 Les sols et les eaux de Dong Son sont toujours contaminés.


Dong Son est une commune très pauvre, peuplée à 90% d’ethnies minoritaires, isolées du reste du pays. Ici, le niveau d’instruction est très bas, la vie est rude. Beaucoup d’enfants naissent malformés et meurent jeunes. Nous nous trouvons sur des terres encore polluées. Phung Tuu Boi, un expert en environnement, s’intéresse à la région depuis 1977. C’est lui qui nous introduit au président de la commune, Ho Giang Nghinh. L’homme, trapu et souriant, s’élance pour nous accueillir. « Dong Son était autrefois une base de l’armée américaine qui a fait construire l’aéroport militaire d’Asho afin de stocker la dioxine destinée à être pulvérisée dans les provinces du centre du pays, se dépêche-t-il de nous expliquer . Cette terre a été gravement exposée. 

Cohabitation avec "la mort"

Vivant dans une petite maison située en face du centre culturel communal, Ho Gia, 44 ans, est de l’ethnie Pa Ko. Lui et sa femme sont en train d’aider leur fille aveugle à se déplacer. Nous découvrons avec surprise les quatre murs de la salle centrale couverts de témoignages de satisfaction et de dessins que Ngọc Thu a faits avant de perdre la vue. La famille de Ho Gia figure parmi les 34 foyers qui vivaient sur l’ancien aéroport d’Asho. La zone a été surnommée « génie de la mort ». Sa femme a accouché 14 fois, mais seulement trois enfants ont survécu. Et la douleur du couple ne s’arrête pas là. Leur fille de 13 ans a subi trois opérations cérébrales (de 2004 à 2006) pour pouvoir survivre, mais elle est devenue aveugle. Les deux autres enfants sont aussi en train de perdre progressivement la vue et une partie de l’audition.


Ho Thi Ngoc Thu ne pourra plus jamais voir les dessins qu’elle avait réalisés avant de perdre la vue.

La commune, fondée en 1991, ne comptait au début que 120 ménages qui se concentraient dans une vallée d’une superficie de plus de 2000 hectares. Son centre administratif et les logements de 34 familles se trouvaient en plein sur l’aéroport. « Ces gens ne savaient pas qu’ils vivaient sur un endroit dont l’eau et la terre étaient gravement polluées », précise M. Boi. Dans les années 2000, la commission 10-80 (chargée de remédier aux conséquences sur la santé humaine des produits toxiques utilisés pendant la guerre) et la firme canadienne Hatfields (spécialisée dans les consultations sur l’environnement) ont démarré des recherches sur des échantillons de terre polluée au « point chaud d’Asho ». Au vu des résultats alarmants, les bureaux de la commune et ces ménages ont alors été déplacés d’environ un kilomètre.

Mais les foyers sur l’aéroport ne sont pas les seuls contaminés. Ceux qui se trouvent plus éloignés de cette zone le sont aussi. Et bien que les autorités aient interdit l’utilisation des puits et des canaux contaminés, la plupart des familles à Dong Son utilisent cette eau pour leurs besoins quotidiens : lessive, bain, consommation… Les habitants savent que ces sources contiennent de la dioxine, mais ils n’ont aucun autre choix. En plus, le système de décontamination construit par la commission 10-80 à l’intention des habitants ne fonctionne plus.

Maladies étranges

Ainsi, la famille de Mme Ho Thi Hai (aussi de l’ethnie Pa Ko) a eu quatre enfants mais l’un est mort à l’âge de 3 ans suite à de fortes migraines et de graves difficultés respiratoires. La fille aînée ne pesait qu’un kilo quand elle avait deux mois. Aujourd’hui âgée de 15 ans, elle est très faible et présente des symptômes similaires à ceux de sa sœur décédée. Certaines victimes souffrent également de maladies étranges. Mme Nguyen Thi Hue (de l’ethnie Ka Tu), par exemple, tout à fait bien portante en 2008, a soudainement eu de violentes migraines et des douleurs dans tout le corps, puis elle a perdu tous ses cheveux. Comme les autres, sa famille consommait exclusivement l’eau des puits polluée par la dioxine.


Ho Thi Cau, 15 ans, ressemble à une gamine de 8 ans. Des familles entières sont atteintes de maladies bizarres, tandis que les enfants naissent mal-formés.


A Dong Son, les gens vivent principalement du riz et de l’élevage. Or, dans les rizières, on ne voit que des plantes rabougries à cause d’une terre devenue infertile qui compte à peine cinq centimètres d’alluvions en surface, le reste étant formé par l’argile et le kaolin. Une grande pluie suffit à éroder cette mince couche d’alluvion. La culture rencontre donc de nombreuses difficultés. En plus, de mars à mai, le vent du Sud, violent, endommage le riz en phase de pollinisation et de formation. Sur cette terre contaminée, les habitants ne cessent de chercher des solutions pour améliorer le rendement. Pour ce qui est de l’élevage, le froid vigoureux et prolongé à l’approche du Nouvel An lunaire (février) tue presque tous les bovins. Les habitants doivent s’endetter afin d’acheter veaux et bufflons, mais une seule vague de froid ou d’épidémie suffit pour leur faire tout perdre.
Signe encourageant, les scientifiques ont trouvé il y a six ans une forme d’acacia qui peut s’adapter à l’environnement de cette localité. Depuis 2005, Dong Son plante ces acacias pour permettre aux habitants de développer leur économie. Actuellement, la commune en compte près de 800 hectares, couvrant ainsi tous les terrains inoccupés. Le soleil est à son zénith lorsque nous quittons Dong Son. Les enfants insouciants pataugent dans un ruisseau. Sur la pelouse verdoyante qui a recouvert l’aéroport pollué, des bœufs et buffles efflanqués, paissent assidûment.


Des gamins s’amusent, un bœuf broute, cette apparence paisible cache une cruelle réalité : à Dong Son, l’eau, la terre et la végétation portent toutes en elles les traces de l’agent orange/dioxine.


Images : © Phúc Thái/Infosud


1 commentaire:

  1. Bel article Piere et ce qui me surprend encore plus chez eux, c'est leur courage devant ses maladies

    Noel

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